le courage d'écrire

J'ai terminé hier le livre "Pedigree" de Georges Simenon. Un bouquin assez extraordinaire, où il est question des pérégrinations d'une famille belge des années 1900-1918, jusqu'à la fin de la première guerre mondiale. Lorsque Simenon a commencé l'écriture de ce texte, on lui avait diagnostiqué une maladie mortelle (après analyse d'une radiographie) et il a voulu laisser à son petit garçon de deux ans la somme de l'histoire de sa famille. Il s'est avéré qu'André Gide aurait lu les 100 premières pages du manuscrit, qu'il aurait beaucoup aimé, et finalement Simenon est resté en vie, et le témoignage s'est transformé en "Pedigree" qui n'a pas été publié sous ce titre originellement. Il semble que beaucoup de gens se soient reconnus (!), et, scandalisés, auraient entamé diverses poursuites judiciaires. Finalement, au cours des années qui ont suivi, le texte a été expurgé de toutes formes directes d'identification à des gens réels, morts ou vifs, et c'est ce texte final que Simenon  a décrit comme étant un roman (donc une fiction) mais basé sur des faits réels....qui a été publié sous ce dernier titre. Ce roman est remarquable parce que Simenon est terriblement ancré dans la description très pointue et méticuleuse des traits de caractère des "personnages", des actions entreprises, des raisons plus ou moins avouables d'avoir agi, et il n'est jamais irrésolu dans sa tâche. Il creuse profondément, ne fait pas de cadeau, et je peux comprendre que certaines personnes se soient profondément hérissées, sa mère particulièrement, qu'il n'a certainement pas épargnée! Il n'a pas épargné non plus son pseudo, Roger Mamelin, dont la période de son adolescence s'est avérée assez rock & roll, pour ne pas dire plus. Les soûleries, les chicanes titanesques avec sa mère, les vols, les dégoûts, la presque perdition d'une jeune âme en peine d'identification, etc. Du très beau travail d'écriture. Et moi je pense, comme toujours lorsque je lis un bouquin qui m'a renversée par son honnêteté, sa concision, sa recherche de vérité, qu'il serait de mon devoir, pratiquement, d'écrire sur ma famille. Mais, comme tout un tas de gens qui ont pensé la même chose, je ne le ferai probablement jamais, parce que me concernant, ce genre d'aventure peut être dangereux, risqué, et mettre en péril ma santé mentale, oui, c'est vrai, cette santé mentale si fragile, si débalancée pour un oui ou pour un non. Je n'ai jamais vraiment compris comment les Annie Ernaux, Nelly Arcan, Delphine de Vigan, et même Simone de Beauvoir, on pu autant risquer par leurs livres, si révélateurs d'une somme de vérités pas toujours nobles sur leur entourage, et sur elles-mêmes...Je suis certaine que, d'une certaine façon, elles ont dû souffrir beaucoup pour leurs livres, qu'elles n'ont pas été épargnées. Mais pour elles, il semble que l'écriture a primé sur toute autre considération. Serais-je capable de démontrer autant de courage (ou d'inconscience).

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