être autre, ou ailleurs
Je suis à mon sixième jour de congé. Je sens que je n'arrive pas à décrocher vraiment. Mais qu'est-ce que ça veut dire au fond décrocher. Se terrer au fond d'un trou et ne rien avoir à faire avec le monde autour? C'est à peu près ce que je fais, et je le fais très bien, mais je n'ai pas le sentiment de décrocher. On pourrait plutôt avancer que cela s'assimile au fait de se détacher de la routine habituelle, celle liée au travail et tout ce qui vient avec. Depuis six jours, je ne suis plus que dans les temps d'une routine différente, familière celle-là, horizontale je dirais, sans défi ni effort, celle de faire absolument tout ce qui me passe par la tête sans horaire ni contrainte. Mais c'est quand même une routine. Je me brosse les dents, prends soin de mon visage, de mon corps, de mes cheveux, de la nourriture que j'ingurgite, de l'appartement que j'aime ordonné et net. Le vrai décrochage, ça serait de se retirer temporairement de soi, d'être autre, ou ailleurs. Seule une discipline spirituelle amène cet état, par ailleurs toujours soumis aux lois de la vie terrestre et ses multiples contraintes physiques et environnementales. Décrocher pour être autre, ou ailleurs... Hier, j'ai feuilleté le Lonely Planet sur Venise édition 2016 emprunté à ma charmante bibliothèque de quartier, et mon envie de retourner à Venise s'est émoussé lorsque j'ai lu qu'environ 20 millions de touristes vont y faire un tour chaque année, pour une population d'environ 55 000 habitants. Ça en fait des étrangers, ça, et moi, je serais parmi eux, en quête de toutes les beautés de la Sérénissime, avant qu'elle ne soit définitivement engloutie par les flots. Une parmi tant d'autres avec mon petit rêve d'ailleurs. Mes rêves sont toujours plus beaux que la réalité, ou plutôt, ils sont merveilleux jusqu'à ce que me prenne l'envie d'y prendre part activement. C'est mon côté indocile, écervelé, celui qui n'en a rien à foutre de la réalité, qui trouve toujours mille raisons de vouloir s'y dérober, même dans ses projets de voyage. J'ai de l'argent en banque. Pas trop, mais assez pour pouvoir me payer de très bons trips. Je suis la fourmi de la fable qui envie la cigale de trop danser et de trop s'amuser parce qu'elle n'a pas le courage de le faire elle-même. Cet argent, ce sont des années d'économie, de travail acharné et de méthode dans l'organisation de mes finances. Ce sont mille et une manoeuvres et stratégies afin de ne rien gaspiller pour rien, pour le seul et unique but de me sentir réconfortée par les potentialités de l'argent, si un projet intéressant se pointait le bout du nez. À date, rien, que mon augmentation mammaire de 2015 au coût de 8000$, de l'argent bien dépensé pour une intervention nécessaire à mes yeux. J'ai un très beau corps, très mince, fuselé et musclé, mais que je cache sous des couches de t-shirt et chandails plus ou moins informes parce que je déteste me faire dévisager. Mon opération à la poitrine, c'est pour moi que je l'ai fait, pour personne d'autre. À part mon chirurgien et mon médecin de famille, personne ne l'a vue, et c'est ok. Je ne vois pas le jour où un homme mettra la main dessus. De temps à autre, j'envisage avec un peu de perplexité la possibilité que cela n'arrive jamais. Je n'aime que les hommes jeunes, très virils, peu bavards, de moins de 30 ans. J'en ai 47. Vous voyez le portrait. Bref. Être autre, ou ailleurs. Dans Alcooliques Anonymes, on dit: faire des choses différentes qui vont donner un résultat différent. La chose la plus sensée et intelligente à faire pour l'instant serait de me rendre à un meeting AA. Rien d'autre ne me vient à l'esprit. C'est simple et banal, me direz-vous. Oui, effectivement. Mais ça demande du courage et de la discipline.
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