une femme indigne: "La femme qui fuit" d'Anaïs Barbeau-Lavalette
J'ai lu hier "La femme qui fuit"
d'Anaïs Barbeau-Lavalette, une québécoise, petite-fille de l'artiste-peintre
Marcel Barbeau. C'est une fiction basée sur la vie de sa grand-mère, Suzanne
Meloche, femme se voulant libre, et qui a abandonné les siens à l'âge de 26
ans, dont sa fille Manon dite Mousse, trois ans, et François, un an, pour vivre
sa vie, détachée de tous liens familiaux. C'était sous Duplessis : on en
parle encore comme l'époque de la "Grande Noirceur", l'époque de
l'omnipotence de l'Église, de l’État, des "Nègres blancs d'Amérique"
(les francophones d'Amérique du Nord), de la censure et de la soumission aux
"Anglais", et aussi du rôle extrêmement ténu des femmes dans la
société. J'ai éprouvé une grande angoisse en lisant ce livre. Je ne suis pas
tout à fait certaine de la force d'impact qu'il a eu sur moi. C'est peut-être
l'impossibilité de comprendre comment une femme a pu de façon volontaire, sans
retour en arrière, abandonner ses enfants et refuser tout contact avec eux,
jusqu'à sa mort. Et puis il y a aussi cette injustice de sentir que cette femme
indigne, volage et révoltante, a fait ce que plein d'hommes ont fait
régulièrement dans l'histoire sans en être blâmés pour autant, comme si c'était
deux poids deux mesures, et ce l'est effectivement. Les femmes sont toujours
coupables de tout, en tout et pour tout, elles portent l'idée fantastique
d'honneur de la famille, elles le portent quoi qu'il arrive, et lorsqu'il y en
a une qui sort du troupeau de la bienséance et du devoir filial, elle est
considérée comme ignominieuse et elle l'est absolument. Mais Marcel Barbeau a
abandonné ses enfants aussi. Le considère-t-on pareillement blâmable? J'en doute
fort.
Plus je vieillis, plus je me rends compte
que les femmes sont réellement les grandes perdantes de l'histoire. Je
comprends davantage la nécessité de ne jamais lâcher nos acquis et nos
victoires, et de toujours rester vigilantes face à nos droits si
douloureusement arrachés à l'oppression des hommes et la violence des carcans
qui nous ont étouffées si longtemps. Suzanne Meloche est une personne qui n'est
un modèle en rien. Cependant, elle souligne, quelque part, à quel point nous
sommes hypocrites et enfermés dans une vision paternaliste et patriarcale des
rôles que jouent les hommes et les femmes dans l'organisation humaine, et par
cela, son parcours n'aura pas été qu'un immense gâchis. Les femmes ont un rôle
immense et on ne leur reconnait souvent que très peu. Elles perdent souvent sur
tous les fronts. Elles doivent très souvent faire des choix douloureux, et ne
peuvent pas tout avoir. Je suis révoltée et attristée de constater à quel point ses
choix ont eu un impact incommensurablement négatif sur la vie de ses enfants.
Et je suis tout autant révoltée par le vide qui a été laissé derrière elle et
que le père de ses enfants n'a pas été en mesure de combler.
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