ne pas être capable de vivre à la hauteur de ses rêves alcoolisés
Avant lorsque je consommais, j'avais des moments de pure grâce, genre où j'avais le sentiment que tout était possible, que je n'avais jamais rien pensé d'aussi original, extraordinaire, exceptionnel et percutant et que c'était à ma portée, à la portée de mon seul désir. C'étaient des idées folles, vertigineuses, qui retombaient piteusement à la même vitesse que l'euphorie due aux substances s'étiolait, et les lendemains de veille étaient d'autant plus désolants que mes idées de grandeur m'amenaient loin des contingences matérielles et concrètes de ma vie poche ou considérée telle. Les belles idées inédites n'existaient plus au contact de la réalité sèche et brutale. La vie telle qu'elle existe reprenait son cours, rien ne changeait vraiment, toutes mes élucubrations ne menaient à rien. Mon estime personnelle était d'autant plus atteinte que mes moments de folie des grandeurs aboutissaient à des vomissements pénibles dans la cuvette de ma salle de bain et que, malade, je faisais l'inventaire des gaffes et autres dégâts réalisés sous l'emprise de la boisson et autres drogues et que j'essayais misérablement de réparer les pots cassés jusqu'à la prochaine cuite. La vie restait la même, mais les hauts et les bas vertigineux de mes excitations émotionnelles m'ébranlaient, me fragilisaient. Un jour, je n'ai plus cru à toutes ces choses que mon cerveau imbibé sécrétait. Mes cuites n'étaient plus que des cuites, des trous noirs où je m'engloutissais. La consommation n'était que pur oubli de moi-même, des autres et de mon environnement. Il n'y avait plus de folles rêveries (je ne me faisais plus d'illusions à ce sujet), et à jeun ou soûle, il n'y avait plus rien à espérer. N'avoir plus rien à espérer est un gouffre sans fond. Vivre comme une limace est possible. Je l'ai fait longtemps. Ne plus croire en soi ni en la vie en elle-même, et tourner autour de son nombril et d'une stérilité et d'une vacuité sans nom. La souffrance de l'alcoolique qui n'est pas capable d'arrêter de consommer n'a pas de limite. Plusieurs se passent la corde au cou. Je ne l'ai pas fait.
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