rêve d'écriture

J'ai changé mon bureau de place, afin que je puisse "travailler" devant la fenêtre qui donne sur un érable moche, dans ma chambre (Joyce Carol Oates a toujours travaillé devant une fenêtre, face à la nature de ses jardins de Windsor et de Princeton et cela semble l'avoir inspirée à défaut d'autre chose). Me concernant, ce n'est pas tout à fait idéal parce que le plancher n'est pas droit, il penche d'un côté et je me sens légèrement déséquilibrée; de plus, tout cette lumière fait apparaître les objets de façon crue (je crois que je préfère la pénombre), et je vois mon reflet dans l'écran de l'ordinateur. Je n'avais pas pensé aux fameux rayons UVA et UVB, que je crains comme la peste (rides, perte de collagène, taches brunes, etc.), et je n'ai pas le goût de me badigeonner de crème solaire dès que je suis à ma table de travail au motif que si je ne le faisais pas je réduirais à néant tous les soins auxquels j'astreins la peau de mon visage depuis quelques mois (rétinol). Bref, je ne sais pas si j'aime la nouvelle configuration de mon espace de travail (avant je travaillais dans la cuisine, toujours sombre). Tout le monde aimerait travailler dans une chambre épurée devant un arbre, non? Alors, de quoi je me plains, c'est fait, il n'y a rien à ajouter de plus. Toujours cette recherche de pureté, d'environnement parfait, qui n'existe semblablement que dans mes fantasmes. Et me fait procrastiner depuis mille ans. 

Plusieurs écrivains et autres artistes ont créé dans des atmosphères et ambiances parfaitement glauques, sans se plaindre, trop heureux de faire ce qui leur apparaissait important, impérieux à réaliser. Ils n'attendaient pas le nirvana avant de se mettre à l'ouvrage.

Joyce Carol Oates se trouve paresseuse dès qu'elle n'est pas à sa table de travail. Le fait qu'elle ait enseigné durant des années (jusqu'en 2014 à l'âge vénérable de 76 ans), l'a probablement empêchée de trop se laisser submerger par son obsession, l'écriture. C'était comme un zone tampon. Les autres activités incontournables (corvées de ménage, réunions diverses, rencontres sociales, édition, lectures, amis, etc.), elle les faisait avec grâce, mais son point focal c'était ses divers travaux d'écriture. Rien n'avait plus d'importance pour elle. Mais elle savait que pour réaliser son obsession, elle avait besoin d'une vie dite "normale", un environnement favorable, un mariage stable, etc. Me concernant, que l'environnement soit favorable ou pas, ça ne change rien. Je n'écris pas. Il semble donc que l'environnement n'y soit pour rien. Je crois que mon désir n'est pas assez fort. Ou que je ne crois pas en moi. C'est l'un ou l'autre. C'est ce que je crois comprendre.

J'ai toujours fantasmé sur l'écriture et n'ai jamais rien écrit de significatif. Ça fait des années que ça dure. 25 ans peut-être, si ce n'est plus. Et je n'ai jamais eu le courage de m'atteler pour de bon sur un projet en bonne et due forme.  Pourquoi? Pour toutes sortes de raisons idiotes, genre, pas le bon moment, pas le bon environnement, pas d'idées, pourquoi m'astreindrais-je à quelque chose à laquelle personne ne s'intéressera de toute manière, etc., et le coup de grâce c'est lorsque je me rends à la bibliothèque de mon quartier et constate l'énorme quantité de bouquins existants, l'énorme somme de mots, l'énorme concentration de souffrance dans la création et le taux inouï d'éditions annuelles, au Québec, en France, et ailleurs. Et je me dis: "Pourquoi je me ferais chier à encombrer une tablette de bibliothèque d'une production qui pourrait même ne jamais se rendre au stade de la publication avec mon petit projet et mon petit rêve saugrenu d'écrire un livre". (fantasme partagé par des millions de personnes dans le monde en ce moment-même). Bref, lorsque je me mets à penser à toutes ces choses, et bien, je décroche de mon rêve, de ma fantaisie et je passe mon tour. Quelque temps plus tard, alors que je lis un livre, que je parcours une critique, je me rends compte que la jalousie, l'envie et le dépit me tenaillent encore et toujours, et je me dis, "Et bien, voici une personne courageuse qui a réalisé son rêve d'écriture, et en voici la preuve, ce bouquin, matérialisé, réel, éternel. Ce bouquin, si j'avais cru en moi, en mes désirs, en mes rêves, serait le mien". 

Qu'est-ce que ça changerait? Tout, et rien.

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