leçon d'humilité à la pharmacie du coin
Hier soir je suis allée à la pharmacie. C'était prévu que j'avais besoin de prendre mon temps et que je le prendrais (parce que c'est le fun de prendre (ou de perdre) son temps à la pharmacie de temps à autre), pour regarder les différentes vitamines et autres suppléments alimentaires, contempler les rouges à lèvres et les fards à joues et à paupières, récupérer au comptoir postal mon passeport fraîchement validé par Passeport Canada, et demander la liste de mes médicaments pour 2017 afin de compléter ma paperasse pour les impôts. Je me suis fait interpeller par un gardien de sécurité (un noir d'origine haïtienne d'environ 20 ans) au rayon de Lise Watier alors que j'essayais sur ma main l'effet produit par différents fards de cette marque. Il me regardait de loin, et compte tenu que je suis myope et que je ne mets jamais mes lunettes par coquetterie, je n'ai pas pu voir son expression mais je savais qu'il avait les yeux braqués sur moi. Je lui ai demandé s'il aimait ça regarder une femme faire ses courses au rayon cosmétiques un samedi soir. Cela n'a pas eu l'heur de lui plaire et il s'est approché de moi d'une façon sinistre, patibulaire. Il m'a dit que je prenais beaucoup de temps pour faire mes courses, et que j'ouvrais des contenants de poudre qui étaient à vendre, qu'il m'avait vue et que je n'avais pas le droit de faire ça. Il m'a aussi dit, de façon méfiante, soupçonneuse, "d'arrêter d'être dure parce qu'il pouvait être dur" (????). Mon coeur s'est emballé. Je l'ai regardé avec stupéfaction, je n'étais pas du tout certaine de ce qu'il voulait me dire et me faire comprendre mais son attitude était discourtoise, triviale, fruste. Il a retiré de ma main le contenant de poudre que j'avais et l'a ouvert en disant que c'était pour vendre et que je ne pouvais pas "piger dedans". Je me suis sentie comme une voleuse prise sur le fait, ou plus exactement comme une non-voleuse prise sur le fait d'être injustement accusée de façon menaçante et j'ai détesté la façon dont cela s'est manifesté dans mon corps tout entier. J'ai senti qu'il pénétrait dans ma bulle de façon absolument indélicate, inappropriée. Je l'ai laissé en plan, complètement incapable de me mouvoir mais je me suis mise quand même en mouvement, et, après avoir réfléchi un peu, j'ai pensé que je ne pourrais pas retourner chez moi comme si rien ne s'était passé et j'ai demandé au comptoir du laboratoire s'il était possible de voir un responsable. Un gars d'environ 25 ans, de type falot, insignifiant, s'est approché de moi et je lui ai demandé s'il était possible de nous mettre à l'écart parce que je voulais garder notre conversation confidentielle. Il a obtempéré avec résignation à ma demande et je lui ai fait part rapidement de ma mésaventure. Il m'a demandé ce que j'avais sur la main, c'était les traces de fards et de rouges à lèvres en démonstration que j'avais essayés pour me faire une idée de leur couleur et de leur texture. Il n'a pas semblé allumer, et même trouver anormal que j'aie ça sur la main... Il me regardait avec suspicion, comme si je n'étais pas "clean" et il avait un petit sourire gêné au lèvres.... Il attendait que j'aie fini de "vider mon sac". Je ne savais plus trop quoi faire, comment m'exprimer ou quoi dire de plus... Finalement, je lui ai demandé ce qu'il comptait faire. Il n'a rien dit, seulement ses yeux ronds de surprise étonnée parlaient pour lui. Je lui ai dit: "Vous ne savez pas quoi faire, n'est-ce pas?", il a bredouillé un semblant de réponse, ne savait plus où se mettre, etc. Finalement, j'ai lâché prise, je me sentais comme dans un piège, incapable de me faire comprendre ou aider, avec le sentiment que ça ne donnerait rien, etc. Je suis allée au comptoir de réception des médicaments pour obtenir mon papier pour les impôts. Une jeune femme m'a dit qu'il y avait beaucoup de clients et qu'il fallait que j'attende mon tour et que ça serait long. Je suis allée à la caisse payer le crayon à lèvres que j'avais choisi avant de me faire interpeller par l'agent de sécurité. Celui-ci s'est tenu près de la caisse en me regardant fixement et durement sans me lâcher des yeux jusqu'à ce que j'aie payé et que je sorte du magasin. Jamais je ne me suis fait traiter comme cela de toute ma vie. Qu'est-ce que ça veut dire? Quelle leçon en tirer?
Depuis quelques mois, les gens n'ont plus le même regard sur moi. Je n'attire plus la sympathie. Je créé comme une bulle d'hostilité autour de moi. À moins que je sente des vibrations, des choses qui n'existent que dans ma tête? Je me sens agressée, peu considérée. Je trouve que les gens sont laids, expéditifs, inhumains, intransigeants, pressés, discourtois. J'ai eu peur hier soir. Je me suis sentie comme une victime, dans la totale impossibilité de me faire comprendre, entendre, valider. Du début à la fin de ce lamentable épisode, je me suis sentie comme une personne coupable de quelque chose, une femme anormale, blâmable. J'ai pensé à toutes ces femmes injustement traitées, à tous ces humains, hommes, femmes et enfants qui, chaque jour, subissent des discriminations, des infamies, des jugements, des condamnations pour lesquels ils sont complètement dépassés, et impuissants. Arrivée chez moi, j'ai prié. Pour moi, pour les autres. Je suis fille de Dieu et je fais mon possible. je n'ai pas voulu personnaliser l'événement, et je n'ai pas voulu faire de suppositions. J'ai voulu croire que j'ai fait mon possible pour me faire entendre, et que Dieu merci je n'avais pas perdu les pédales (ce qui aurait semblablement empiré les choses), et que, même si j'ai été injustement traitée de façon loufoque et cavalière, je n'ai pas perdu ma dignité ou mon intégrité corporelle, et que j'avais des droits, parce que nous sommes au Québec (genre). Je n'ai pas voulu m'apitoyer sur mon sort et penser qu'avec ma tête (grisonnante), mon allure (pas soignée, pas coquette de fin de semaine), mon expression (périménopausée fatiguée de tout, un peu désespérée de ne jamais se sentir bien ou elle-même depuis des mois...), ce genre d'événement risquerait de se reproduire parce que je suis vieille, de mauvaise humeur, fragile et vulnérable et qu'on le sent et qu'on n'aime pas voir des gens vieux, moches, malades, négligés, de mauvaise humeur qui polluent le paysage *. Bref, grosse leçon d'humilité.
*menace du stéréotype: peur d'être réduit à un cliché péjoratif, et angoisse qui finit par altérer notre jugement et nous conduit à nous conformer au stéréotype en question. (Option B, de Sheryl Sandberg, Michel Lafon, 2017).
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